Histoire de l’École Binh Dinh

Les racines du kung fu Binh Dinh

Littéralement le mot Kung-Fu (功夫) signifie « maîtrise par le travail » mais est souvent traduit de différentes manières plus poétiques. « Avoir du kung fu » n’est donc pas l’apanage des pratiquant.e.s d’arts martiaux. Un.e cuisinier.e, un.e peintre, etc… peut avoir du kung fu s’il.elle excelle dans sa pratique et parvient à un haut degré de maîtrise de son art.

Le véritable terme chinois pour désigner l’art martial est Wu Shu (武术, art de la guerre). Au Viêt Nam, on parle de Vo Thuat Co Truyen. Dans ces deux pays, il existe une multitude de styles plus ou moins connus, plus ou moins répandus et plus ou moins anciens. Les écoles se réclamant des Vo Thuat Co Truyen sont nombreuses et diverses au Viêt Nam. Elles s’inscrivent le plus souvent dans la lignée de deux grands courants de pratique : l’un se nomme Thieu Lâm (littéralement Shaolin) et l’autre se nomme Binh Dinh et fait référence à la région centrale du Viêt Nam, berceau des arts martiaux traditionnels de ce pays.

Le courant Binh Dinh est lié à l’histoire du Viêt Nam et aux événements qui se déroulèrent dans la région durant plusieurs siècles. Nés autour du 15ème siècle, ils connurent leur apogée à la fin du 18ème siècle lors de la guerre civile vietnamienne de « Tây Sơn », une guerre qui a vu se battre trois frères, Huệ, Lữ et Nhạc, du clan des Hồ, originaires de Tây Sơ, contre les seigneurs du sud, les Nguyễn. Grâce à leurs pratique martiale intelligemment utilisée, ils vont défaire les seigneurs du sud, ainsi que celles envoyées par la dynastie chinoise des Quing. Huệ se proclame empereur sous le nom de Quang Trung. Au niveau des techniques, Quang Trung assembla et synthétisa les apports des élites martiales vietnamiennes, et y associa les meilleures écoles frontalières. Il favorisa l’implantation d’écoles d’art martiaux dans tout le pays et, surtout, institua l’apprentissage obligatoire de cet art martial à toute son armée, tout en y apportant une solide bureaucratie et toute une valeur éducative pour l’individu en renforçant la composante philosophique et morale de l’enseignement. Le respect d’un code d’honneur et de conduite, fortement influencé par les doctrines confucéennes, devient fondamental, et on voit l’édification de normes strictes pour ce qui concerne l’entrée et l’appartenance à une école d’arts martiaux. À cette fin, il regroupa, dans sa province d’origine, au centre du Viêt Nam, des écoles qui préparent aux concours militaires : c’est la naissance de l’art martial de Binh Dinh. Ces écoles représentaient un standard, une norme de qualité, tout comme l’étaient en Chine les écoles du temple de Shaolin ou celles du mont Wu Dang.

Au milieu du 19ème siècle, la fermeture du pays au commerce étranger et au christianisme finit par entraîner un conflit avec la France : le Second Empire de Napoléon III intervient en 1858 et s’empare du Sud du pays, qu’il annexe pour en faire la colonie de Cochinchine. En 1883, la guerre franco-chinoise provoque une nouvelle expédition française, la France souhaitant à la fois sécuriser sa colonie et s’emparer des richesses du Tonkin au nord du pays.

Les arts martiaux vietnamiens entrent alors dans une période de clandestinité et de résistance : de nombreuses écoles aux styles dits « familiaux », transmis uniquement dans le cercle privé de la descendance, apparaissent alors et se perpétuent jusqu’à aujourd’hui. Quelques écoles issues de ce courant se sont développées en France : Vo Binh Dinh, Tinh Vo Dao, Sa Long Cuong… L’école Kung Fu Binh Dinh de Maître Tran est l’une d’entre elles.

La région du Bình Định, au Viêt Nam
Route nationale dans l’actuel Bình Định
Démonstration de Vo au Bình Định

Me Tran Thanh en 1990
Me Tran Thanh en 2010

Maître Tran

Me Tran Thanh, alias François Pavade, nait en 1954 au Viêt-Nam d’un père indien et d’une mère vietnamienne.

Le pays connaît dans les années 60 de nombreux troubles avec l’insurrection du Front national de libération du Sud Viêt Nam (appelé péjorativement Việt Cộng par la république du Viêt Nam et ses alliés américains) et l’intervention des États-Unis d’Amérique dans le conflit. Me Tran rencontre alors les arts martiaux et étudie de nombreuses années auprès de plusieurs experts vietnamiens dont un moine Shaolin. Lors de ses nombreuses années de pratique, Me Tran a synthétisé et conservé les principes et techniques qui lui paraissaient les plus pertinent.e.s pour « l’efficacité en combat » et « l’agir dans la vie ».

Me Tran quitte alors le Viêt Nam et s’installe en France. L’école Kung-fu Binh Dinh naît à Bordeaux en 1979 et s’installe au 7 rue Cazalis à Bordeaux, en 1981.

En 1990, à la lumière de plusieurs rencontres en Chine et d’une pratique personnelle intense, Me Tran souhaite enrichir sa pratique d’éléments techniques et philosophiques issus de la boxe Tai Ji Quan (style Chen) auprès de Maître Feng Zhi Qiang de l’école Chen et du Yi Quan auprès de Wang Xuang Jie.

Entre 1996 et 1998, c’est Me Li Jian Yu, élève direct du fondateur Wang Xiang Zhai qui viendra plusieurs fois à Bordeaux et lui permettra d’approfondir sa connaissance du Yi quan.

En juin 1999, Me Tran choisit de se retirer de l’enseignement des arts martiaux pour se consacrer à d’autres aspects de la « voie ». Il vend sa maison et la salle, confie la pérennité de l’école à ses plus ancien.ne.s élèves, et s’installe dans la campagne landaise d’où il nous soutiendra, avec bienveillance, durant les années qui suivront.

Bien que l’école se soit quelque peu dispersée au départ du Maître, elle ne s’est pas dissoute grâce aux efforts de ses ancien.ne.s. Force est de constater qu’un lien s’est tissé et que beaucoup ont gardé contact.

Depuis Septembre 2003, Me Tran est revenu à Bordeaux. N’ayant de cesse d’approfondir sa compréhension des arts martiaux tant externes qu’internes, il a élargi sa pratique aux dimensions du soin thérapeutique et préventif. Il continue de prodiguer son enseignement lors de quelques stages organisés à Bordeaux, occasion pour tous les clubs de se réunir.


La salle rue Cazalis

En 1981, Me Tran achète un complexe immobilier composé d’une maison et d’une salle d’environ 600m² (anciennement hangar à bateaux) rue Cazalis, exclusivement réservée à l’enseignement et à l’étude de la boxe Binh Dinh.
De très nombreux pratiquants se sont adonnés à l’étude des arts martiaux sino-vietnamiens dans ce cadre quelque peu rustique, mais particulièrement agréable et indéniablement chaleureux. Les anciens se souviendront des énormes poutres apparentes auxquelles pendaient les sacs de frappe, du parquet de contre-plaqué d’où dépassait parfois un clou, des murs au plâtre effrité couverts d’armes dont la plupart des élèves ne se sont jamais servis, de l’autel avec son bouddha que chacun allait saluer en arrivant à la salle…
Le froid en hiver (malgré les bruleurs sensées chauffer la salle), la chaleur étouffante l’été, les plaques du plafond qui tombaient les jours de grand vent, le bruit de l’énorme cloche qui sonnait le début du cours… Autant de souvenirs que nous garderons de notre wu guan !

Et si certain.e.s n’ont consacré que quelques années à l’art et à la voie, il reste, à ce jour, des pratiquant.e.s de la première heure qui continuent de participer activement à la vie de l’école.

Durant 18 ans, à raison de plusieurs cours par jour (du lundi au samedi), une vingtaine d’instruct.eurs.rices ont été formé.e.s en ce lieu. Quelques-un.e.s sont devenus des professionnel.le.s de l’enseignement et ont ouvert un peu partout en France des écoles de Kung-Fu Binh Dinh.

Le wu guan de la rue Cazalis en 1992
Un cours à la salle rue Cazalis